Le Livre
« La place de Madame de Maintenon est unique, il n’y en a point, il n’y en aura jamais de semblable ».
Marie de Rabutin Chantal, marquise de Sévigné.
Effectivement, rien ne prédisposait une enfant née à la conciergerie d’une prison, enfant et adolescente miséreuse, mariée à un paralytique libertin, à obtenir, devenue veuve, la charge de gouvernante des enfants de Louis XIV et de la marquise de Montespan.
Dès lors, l’ascension de Françoise d’Aubigné a été fulgurante. Titrée marquise de Maintenon, elle a accédé au sommet en 1683 : veuf en juillet, le roi l’a épousée.
Dans ce quatrième opus du Cœur du Soleil, l’héroïne relate ses trente-deux années de vie commune avec Louis XIV.
Succéder à Marie Mancini, à Louise de La Vallière, à Athénaïs de Montespan, n’était pas facile. Certes, elle était l’épouse du roi mais elle n’a pas eu la meilleure part. Il lui a fallu vivre les maladies et la vieillesse de son époux, les guerres, les difficultés économiques, les querelles religieuses ainsi que les deuils familiaux d’une fin de règne tragique et tâcher de réconforter sans cesse l’homme qu’elle aimait et qui est demeuré fidèle à celle qu’il se plaisait à appeler « Votre Solidité ».
Solide, il fallait l’être pour partager les aléas du pouvoir et imaginer les solutions aux problèmes multiples de l’époque.
Très malmenée par les pamphlets de ses contemporains et par les historiens du 19ème siècle, l’épouse royale raconte son existence au fil des ans : amatrice de bonheurs simples, elle n’a jamais aimé la vie de Cour mais ayant épousé le Roi Très Chrétien, elle s’est efforcée de jouer le rôle qu’on attendait d’elle, de paraître dévote quand elle a toujours douté de la vie éternelle, de sacrifier ses amitiés au nom de la raison d’État et d’accepter que son École de Saint-Cyr devienne un couvent alors qu’elle voulait donner une éducation mondaine aux filles de la noblesse désargentée et les instruire autant que l’étaient les garçons.
Madame de Maintenon n’a eu qu’une liberté : celle d’aimer de façon inconditionnelle un roi soucieux de sa gloire, un homme auquel elle a su insuffler le courage nécessaire pour affronter les épreuves.
Ainsi, elle a justifié un mariage que Louis XIV n’a jamais regretté.
Extraits
1. « - Françoise, quand on m’a sacré à Reims, j’avais quatorze ans et je n’ai pas soupçonné le moins du monde que la couronne de France me serait si lourde à porter, qu’il me faudrait faire fi de mes sentiments personnels ma vie durant et ne voir que le bien du royaume, pas le mien. Il m’est, je le crois bien, arrivé une seule fois de prendre une décision personnelle et je ne l’ai jamais regrettée. Devinez-vous laquelle ?
Très indécise, je me suis empressée de passer en revue dans ma tête les grands événements du règne sans trouver le moins du monde de réponse satisfaisante.
En souriant de mon embarras, mon époux m’a pris la main, y a posé ses lèvres et il m’a dit :
- N’ai-je pas épousé, au mépris des convenances, une veuve plus âgée que moi, née dans une famille huguenote de petite noblesse, veuve d’un poète libertin ? Y a-t-il eu dans l’Histoire un seul roi à montrer tant d’audace à faire passer son bonheur personnel avant ses obligations politiques ? Vous êtes, ma douce, la preuve vivante qu’alors j’ai vraiment été roi et que j’ai fait ce que je voulais. »
2. « Cette vie de Cour dont tous rêvent m’ennuie profondément. Je souhaiterais une vie plus simple, plus familiale, plus conviviale. Modelés tous autant que nous sommes par l’Etiquette pesante qui régit chacun de nos mouvements, nous marchons, nous mangeons, nous dansons, nous suivons les pièces de théâtre ou les concerts comme de parfaits comédiens ayant appris leur rôle et s’efforçant de le jouer au mieux sur la scène de la monarchie autour du premier acteur qu’il faut mettre en valeur : le roi.
Tous admettent cette convention dans l’espoir de plaire et d’obtenir une faveur ou par crainte de déplaire et de tomber en disgrâce, pour moi, tout est différent : j’accepte la partition que Louis m’a donnée à jouer parce que je l’aime. Ce sentiment n’obscurcit pas mon raisonnement, je suis consciente d’avoir souhaité cette union parce que je l’avais imaginée tout autre ; or, le roi n’est pas au quotidien le héros de roman que mes rêves avaient habillé de bons, de grands, de nobles principes. Le Roi-Soleil est d’un égoïsme forcené mais sachant qu’à l’âge de sept ans il avait écrit sur son cahier :
« L’honneur est dû aux rois, ils font ce qu’il leur plaît », peut-on s’étonner qu’il veuille que tout tourne autour de sa personne ? A qui la faute ? A son éducation probablement, à la reine Anne, sa mère, sûrement. Le résultat est que tout le monde tremble devant Lui, moi exceptée, et il le sait bien comme je n’ignore pas que j’en obtiens ce que je veux à condition d’être assez habile pour l’amener à l’idée qu’il a pris une initiative que je lui avais soufflée auparavant. »
3. « - Françoise, enfin une bonne nouvelle : la guerre des Cévennes est terminée...
Je ne vais pas ternir l’optimisme de Louis ; il semble si soulagé, si heureux de voir cette épine tirée du corps du royaume ! A quoi servirait que je lui démontre qu’il n’a pas pris la mesure du drame cévenol où il n’a vu qu’une révolte contre son autorité et pas le moins du monde que ceux qu’on appelle les Camisards ne souhaitaient que la liberté de conscience et de culte, qu’il aurait suffi de les leur accorder pour faire d’eux les fidèles sujets du roi. Bien sûr, l’Edit de Fontainebleau interdisait tout compromis et cela, je le comprends, mais le roi n’a pas réalisé en révoquant celui de Nantes que la foi ne se soumet pas aux lois.
Informée comme je le suis, il me serait facile de rappeler les horreurs perpétrées par les deux camps, les déportations de Réformés, le rasement de leurs demeures, le pillage des églises, les massacres, les pendus, les roués, les brûlés et cela malgré les injonctions royales de mansuétude. Puis-je dire à mon époux que tout-puissant qu’il s’imagine, ses capitaines ont outrepassé ses volontés ? Qu’il est facile de préconiser la douceur quand on est sous les dorures de Versailles et qu’on peut se laisser aller à la violence quand, arrivant dans un village cévenol catholique, on découvre tous ses habitants morts après d’atroces supplices, comment ne pas être tenté d’appliquer la loi du talion sur le village suivant si les âmes qui y vivent sont huguenotes ?
Je n’excuse ni la barbarie des uns ni celle des autres, ces luttes fratricides auraient pu être arrêtées bien plus tôt. »
4. « Car la pénurie d’argent est grande et Louis n’a plus d’idée pour en trouver. Il se contente d’approuver les initiatives de Chamillart et de s’enliser dans des tours de passe-passe qui ne me disent rien de bon : on a augmenté le cours de l’écu et du louis en dévaluant la livre, monnaie de compte. Nous nous sommes retrouvés beaucoup plus riches d’un coup et plus riches encore quand le même Chamillart a suggéré qu’on pourrait, à défaut d’espèces sonnantes et trébuchantes, imprimer des billets de papier gagés sur une monnaie fantôme. Là encore, je n’ai rien dit, je n’ai pas eu envie d’entendre une fois de plus « les femmes ne comprennent rien à la politique » tout en reconnaissant qu’effectivement je n’entends pas grand-chose à la gestion d’un État... Encore qu’il m’arrive de penser qu’un particulier sage et prévoyant dépense selon ses moyens et qu’un État devrait agir de même.
Le seul domaine où je parle franchement est celui de la santé : quand je viens passer un jour dans ma retraite de Saint-Cyr, je mets en garde Louis contre les excès de table et je demande aux valets d’éviter de poser sur la table royale des asperges, des huîtres, des ris de veau, des œufs, des langues de canard, du gibier, des sauces épicées et surtout des assiettes débordant de pâtisseries ou de fraises, tous ces mets conduisant mon époux à se rendre malade d’indigestion...Pour faire leur cour, les médecins ont de superbes idées : que Sa Majesté mange autant qu’il Lui en prend l’envie, on lui administrera ensuite des purgatifs, des lavements à l’eau de rose, à l’huile d’amande douce, au miel, aux graines de lin afin d’éliminer toute trace de gloutonnerie. Malgré mes craintes, il m’arrive de regretter d’avoir demandé à mon époux de réfréner son appétit car je sais bien que c’est le seul plaisir qui lui reste et qu’il est stupide de priver un homme de soixante-neuf ans des instants de bonheur que la vie peut encore lui procurer. »
5. « Que me reste-t-il de mes révoltes d’adolescente, de cet amour de la liberté qui m’a animée toute ma vie ? Rien d’autre que des lambeaux de rêves inassouvis, de n’avoir à l’heure des bilans que la triste constatation d’une existence subie dont je n’ai pas su m’affranchir...
Je n’ai pas choisi ma destinée, je l’assume du mieux que je peux tout en doutant de mes possibilités, je n’avais pas l’étoffe nécessaire pour endosser le costume dont le roi s’est plu à me parer. Rien ne me va plus mal que cette aura de bigote qu’on m’attribue, là encore, le rôle ne me convient pas car peu de gens doutent autant que moi de faire leur salut. S’il était permis de lire en mon âme, on y découvrirait que je n’ai aucune certitude sur ce qui nous attend tous après la mort ; je fais de mon mieux pour plaire à Dieu ou tout au moins pour ne pas l’offenser au cas où j’aurais à le rencontrer mais je doute d’un tel tête-à-tête.
De cette hypocrisie permanente, je suis lassée. »
6. « Maintenant, à Saint-Cyr, au calme de ma chambre bleue, je réalise pleinement l’étendue de mon malheur. Dans quelques heures, je serai veuve, l’homme que j’aime se sera éteint doucement comme une chandelle qu’on souffle. Comment ne pas remercier le Ciel de lui avoir fait perdre connaissance pour lui épargner les ultimes douleurs et les affres du passage terrible où tout bascule ?
Louis aura été grand et digne jusqu’au bout, fidèle à l’image qu’il voulait imprimer sur les esprits, cela personne ne pourra le nier. Beaucoup de larmes ont été versées autour de son lit, je ne gagerais pas qu’elles étaient toutes aussi sincères que le regard de ses chiens qui ont senti que la main du roi ne flatterait plus leur échine et qu’ils n’auraient plus à espérer de biscuits. Les chiens qu’il avait voulu revoir ont gémi doucement en approchant du lit, ils avaient compris que le maître s’en allait pour une promenade solitaire...
Si on pousse ma porte, si on voit mes larmes, sans honte aucune, je dirai simplement :
- Il est bon de pouvoir pleurer un roi. »
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